De l'utilisation de l'ACC en myrmécologie

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Henri Cagniant
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De l'utilisation de l'ACC en myrmécologie

Message par Henri Cagniant »

Parmi les multiples possibilités statistiques d'XLStat, je trouve l'Analyse Canonique des Correspondances (ACC), une méthode statistique descriptive qui permet de relier des abondances d'objets (pour nous les espèces) à des variables (ici des paramètres environnementaux) en fonction de sites (les stations ou localités). On commence par dresser un tableau de contingence (voir l'exemple) et on va en extraire une représentation graphique qui traduira au mieux l'information contenue dans le tableau.
Tableau ACC.xlsx
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Matériel et méthodes
_ Pour cet exemple (volontairement simplifié), j'utilise des relevés de formis de 6 localités du Moyen Atlas marocain, effectués en mai 1982. Lors de chaque relevé, on a compté les emplacements occupés par les diverses espèces sur 4 carrés de 10x10 m. On notera que:
1- Ce sont les emplacements qui sont comptabilisés. Pour les sociétés restreintes comme Temnothorax, cela correspond à une colonie (un nid). Pour les fourmis qui font des sociétés populeuses, les "emplacements" peuvent représenter différentes sorties d'une même fourmilière. Mais ce biais est paradoxalement équitable en ce qu'il rétablit un peu les choses: une colonie de Temnothorax exerce un impact écologique bien moindre qu'une seule colonie de gros Camponotus.
2- Les espèces arboricole, de même que les inquilines ne sont pas prises en compte.
3- pour la "clarté graphique" de l'exemple, toutes les espèces terricoles ne sont pas retenues; j'ai laissé de côté les formes dont la découverte est aléatoire (ex: les endogées) ou celles que l'on peut qualifier "d'accidentelles" (dites rares, inconstantes dans un milieu donné).

_ Liste et codes des stations: (n=6); les variables (p=3) sont: altitude, % de recouvrement des arbres, coefficient bioclimatique modifié d'Emberger. Voir carte Michelin du Maroc pour les localités.

s1: Cédraie mixte discontinue avec Chêne vert d'Aït Mraou (est d'Azrou) sur dolomie en bioclimat humide à hiver froid; 2000 m; 65%;120
s2: Chêne zéen avec peu de Chêne vert de la forêt de Jaaba (ouest d'Ifrane) sur basalte, bioclimat humide à hiver froid; 1550 m; 75%; 95
s3: Chêne vert arborescent du Bou Jirirh (NE d'Azrou) sur dolomie, bioclimat subhumide à hiver frais; 1600 m; 65%; 90
s4: Chêne vert dégradé d'El Hajeb sur dolomie, bioclimat subhumide à hiver frais; 1350m; 30%; 70
s5: Steppe d'Armoise bleue vers Boulemane sur calcaire, bioclimat semi-aride à hiver froid; 1700 m; 5%; 60
s6: Steppe d'alfa rase au nord de Midelt sur alluvions, bioclimat semi-aride à hiver frais; 1100 m; 1%; 45.


_Liste et codes des espèces (m= 21)

Acr: Aphaenogaster crocea
Ase: A. senilis (population de MA)
Cal: Camponotus alii
Cat: C. atlantis
Ccr: C. cruentatus
Cfo: C. foreli
Cab: Cataglyphis albicans
Cma: C. maritanica occidentalis
Crl: Crematogaster laestrygon atlantis
Crs: C. sordidula
Fcu: Formica cf. cunicularia
Lba: Lasius barbarus
Lgr: L. grandis
Lmy: L. myops
Mab: Messor abdelazizi
Mst: M. striatulus
Php: Pheidole pallidula
Psh: Plagiolepis schmitzi barbara
Tni: Tapinoma nigerrimum
Tsp: Temnothorax spinosus maurus (quelques colonies sont asservies par Myrmoxenus algerianus)
Tsl: Tetramorium semilaeve atlante

_Résultats
Voici la version qui sort au traitement par XLStat:
ACC3.xlsx
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et 2 graphiques à agrandir:
Dessin ACC1.jpg
Dessin ACC2.jpg
_Commentaires:
On vérifie que la contrainte (n-1-p, m-1)>0 est satisfaite.
Le tableau d'inertie montre que 67% de celle-ci est pris en compte par l'ACC dite "contrainte", ce qui signifie que les variables retenues expliquent une bonne partie de la variabilité du tableau mais n'expliquent pas tout.
Le test de permutation (ici 500) recherche la confiance que l'on peut accorder aux variables choisie pour expliquer la répartition du tableau. Le test du Pseudo-F s'inspire de celui du F. de Fisher dans l'analyse de régression. Il regarde si le rapport entre la variance des sites/objets est équivalente à celle des sites/variables. PsF=1,356 signifie que la part de la première est plus importante que celle de la seconde ; la p-value est bien supérieure à 0,05 (le risque habituel de 5%). Il y a 22,6% de risques que les variables n'expliquent pas toute la variance du tableau; ceci est illustré par l'histogramme, fortement étiré vers la droites (valeurs >1,356 du Pseudo-F). Biologiquement cela s'explique: ce n'est pas avec 3 variables que l'on va expliquer la répartition des fourmis; finalement celles retenues fournissent déjà un bon début d'explication.

Les valeurs propres de l'ACC indiquent que la majeure partie de la variance contrainte est représentée par le 1er axe (76,11%); avec le second on obtient 94,48%. La représentation en 2 dimensions reste acceptable pour exposer les relations entre les stations, les espèces et les variables expérimentales.
Ces 2 axes peuvent être compris comme des gradients bioclimatiques synthétiques. Le vecteur %re est presque collé à l'axe 1 et révèle que la physionomie de la végétation est déterminante pour la répartition des espèces de fourmis. Le bioclimat (emb) qui induit la nature de la végétation vient ensuite. L'axe 2 prend davantage en compte l'altitude. Les stations forestières 1,2,3 se séparent franchement par leur myrmécofaune de celles de steppe (5,6); la s4 est intermédiaire (végétation dégradée).
T. spinosus, A. crocea, A. senilis pop. MA, L. grandis se présentent ici comme des forestières strictes; elles recherchent (au Moyen Atlas), un couvert important et tolèrent un hiver froid. F. cf. cunicularia est caractéristique de la chênaie zéen, ombragée, à sol épais et humide. P. schmitzi barbara, C. cruentatus, L.myops, C. alii sont un peu plus ubiquistes; L. barbarus s'accomode de la chênaie dégradée. M. abdelazizi, C. mauritanica occidentalis, P. pallidula colonisent des milieux variés, assez dégagés et supportent l'altitude; de même pour C. sordidula et T. semilaeve atlante, mais en lieux vraiment découverts. C; foreli, C. laestrygon atlantis et C. atlantis se trouvent aussi en lieux découverts mais un peu plus bas. Avec la steppe d'alfa, on voit apparaitre M. striatulus et C. albicans aux dépens des espèces d'altitude; elles apprécient davantage de soleil et de chaleur.

_Conclusion:
Les fourmis constituent de bons indicateurs écologiques; le cortège de la myrmécofaune traduit par la nature des espèces présentes et leur abondance relative, les conditions du milieu. En effet, en tant qu'insectes terricoles fixés (par le nid), les fourmis ressentent à plein les facteurs environnementaux. En tant qu'insecte social, chaque individu est soumis toute sa vie, de l'œuf à l'adulte, à ces facteurs. Ce sont les espèces les plus communes qui sont intéressantes pour caractériser une station car leur abondance traduit leur adaptation au milieu; du point de vue pratique, elles offrent en outre une relative facilité à être repérées et dénombrées.
Rumsaïs Blatrix
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Enregistré le : ven. 30 mai 2008 06:53

Re: De l'utilisation de l'ACC en myrmécologie

Message par Rumsaïs Blatrix »

Je ne connais pas XLStat, mais sous R j'utilise l'analyse de redondance (RDA), qui fait à peu près la même chose que la CCA, mais qui, selon Borcard et al 2011 (Numerical Ecology with R), est plus rigoureuse d'un point de vue mathématique (je leur fait confiance, car moi et les maths....). Je l'ai appliquée sur les données de l'inventaire des réserves catalanes, mais je suis un peu déçu, les espèces sont très groupées et le modèle explique assez mal les données. J'ai peut-être laissé trop d'espèces, je suis passé de 93 à 50 en supprimant les espèces "rares". Ceci dit il y a quand-même quelques tendances intéressantes, et ce sont visiblement les mêmes que celles que vous avez trouvé: les deux facteurs les plus importants qui expliquent la composition des communautés de fourmis (ainsi que la richesse spécifique et la diversité) sont l'altitude et le % de couvert forestier (la surface terrière en fait) (mes autres variables sont l'exposition, la pente, la diversité des arbres, et l'espèce d'arbre dominante). Je vous joins le document de synthèse que j'avais rédigé sur ces analyses; c'est intéressant à comparer avec celles sur le Maroc.
Fichiers joints
ecologie.pdf
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Henri Cagniant
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Enregistré le : mar. 13 mai 2008 10:44

Re: De l'utilisation de l'ACC en myrmécologie

Message par Henri Cagniant »

Très intéressante, cette concordance: altitude et % de couvert forestier!
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