Nouvelle Mise au Point sur le Complexe Temnothorax exilis

Section où le professeur Henri Cagniant lance les sujets de discussions de son choix.
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Henri Cagniant
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Nouvelle Mise au Point sur le Complexe Temnothorax exilis

Message par Henri Cagniant »

Temnothorax_exilis specularis.jpg
T. exilis specularis de Calabre Photo C. Lebas
Temnothorax_exilis exilis.jpg
T. exilis exilis d'Italie Photo C. Lebas

L'apport de nouveaux échantillons communiqués par les Membres d'Antarea permettent de développer l'investigation de ce que nous proposons d'appeler "le Complexe T. exilis", que nous évoquions dans une précédente communication (Antarea, mai 2011). Emery et Forel ont en effet distingué plusieurs variétés autour de la forme nominale T. exilis (Emery, 1869). Les auteurs suivants ont attribué les formes qu'ils trouvaient à l'une ou l'autre de ces variétés sans chercher à approfondir leurs caractéristiques morphologiques. Il en a résulté un chaos complet que Baroni (1971 b) a pensé résoudre en mettant tout en synonymie. De son côté Collinwood (1978) a élevé la variété T. exilis var. specularis au rang de bonne espèce pour l'Espagne et les Baléares sans tenir compte que cette forme avait été décrite pour la Calabre. De même, il élève la variété T. exilis leviceps au rang de bonne espèce pour le sud de l'Espagne sans aucune justification. Le présent travail tente d'apporter un début d'éclaircissement, mais le problème n'est pas simple comme nous allons le voir.

1-Matériel et méthodes; remarques
Liste des échantillons utilisés (n= nombre total d'ouvrières prises en compte par échantillon); les citations "entre guillemets" sont celles des premiers auteurs.
-Echantillons rapportés à T. exilis et ses variétés:
1: Radda di Chianti, Toscane, Lebas leg. Bord de route sous Chêne vert; schistes; 434 m. 11/VI/2013. n=17. Rapporté à T. exilis forme nominale dont le type est décrit des environs de Naples.
2: Sirolo, Marche, Baroni Urbani leg. 10/VIII/1964. n=3.Donné comme T. exilis var. specularis. Rapporté à T. exilis var. leviceps car de couleur claire conformément à la description de cette dernière (tête et gastre brun rougeâtre, tronc et pétioles jaunâtre; base du gastre un peu éclaircie) alors que specularis est décrit comme sombre.
S: T. exilis var. specularis, paratype de Calabre, collection Forel. n=1.
3: Sambiase, Calabre, Bushinger leg. N=17. "Forme à 11 chromosomes" selon le donnateur. Rapporté à T. exilis var. specularis décrit du " Sud de l'Italie". Correspond également à T. exilis v. specularis de Menozzi (1921:27).
4: Cosenza, Calabre, Bushinger leg. n=8. Idem
5: Ile d'Elbe; types et paratypes de T. exilis v. dichroa décrit de l'île de Giglio et de l'île d''Elbe des Collections Emery et Forel + 3 ouvrières Galkowski leg. n=8.
6: Hyères, Var. Plage, sur branches de Tamaris, 3/VII/1960 + Bernard leg. plage de St Aygulf, 1961. n=4.
7: Monacia, Corse du sud, Lebas leg. Maquis arboré de chêne liège et chêne vert dominant sur gneiss, 800 m; nid sous une pierre. IX/2012. n=16.
8: Rondinara, Corse du sud, Lebas leg. Maquis clairsemé, 250 m; nid dans une fente de rocher. IX/2012. n=16.
9: Ospedale, Corse du sud, Lebas leg. Buissons et rocailles et Pins laricio espacés sur granites, 600 m; nid sous une pierre. IX/2012. n=14.
10: St Florent, Haute Corse, Lebas leg. Garrigue littorale à chêne kermès sur calcaire, 50 m; nid sous une pierre. IV/2010. n=15.
11: Ghizoni, Haute Corse, Lebas leg. Clairière au bord d'un ruisseau en forêt claire de Pins laricio et Hêtres sur schistes, 700 m (Forêt de Marmanu); nid dans du bois mort. IV/2010. n=17.
A: T. exilis v. specularis collection Santschi; Sardaigne, Dr Krauss leg. n=1 ouvrière examinée; le corps est sombre mais "le pronotum est rougeâtre" comme le note Santschi (1923:135).
12: Mireval, Herault, Blatrix leg. Garrigue entre Méditerranée et massif de la Gardiole, 100 m; nid en tige creuse. II/2012. n=15.
13: Catalogne espagnole, Espadaler leg. n=13.
14: Crète. T. exilis subsp.creticus, "typus" de la Collection Forel "Environs de La Canée, printemps, temps très sec"+ 1 ouvrière Galkowski leg. n=4.
15: Près de Smyrne, Turquie. T. exilis v. Darii (sic) "sur olivier". n=1.

-Echantillons d'autres espèces morphologiquement proches:
16: T. tyndalei d'Andalousie. Tarifa, 8/V/2006; matorral arboré de chêne liège sur flysch andalous, 360m. Ouvrières isolées sur les arbres + Sierra Nevada, 10/V/1979, Tinaut leg. n=10.
17: T. gredosi San Juan de la Pena, Huesca, Espadaler leg. Bois de Pins et Chênes, 1400 m. 29/IX/1978. Hoyos del Espino, 1500 m. 22/VII/1979, Espadaler leg. n=9.
18: T. tyndalei cervantesi Serrania de Cuenca, Parc Naturel; Pins sur calcaires karstiques, 850 m. 16/IV/1981, Espadaler leg. n=10.
19: T. niger Fréjus plage, Var. 5/VII/1960. n=15.
20: T. niger Col du Séris, Pyrénées orientales; pelouse à Brachypodes; fentes des schistes, 260 m. 3/VII/1959. n=16.
21: T. cf. laestrygon de Sambiase, Calabre; "forme à 17 chromosomes"; Buschinger leg. n=14.
L: T. laestrygon, ouvrière lectotype de Segesta, Sicile, collection Santschi. n=1.
22: T. melas Venaco, Haute Corse; Lebas leg. Chemin forestier dans la hêtraie en mélange avec des pins; nid dans les fentes de schistes, 883 m. 7/VI/2013. n=14.
23: T. melas Riventosa Haute Corse; Lebas leg. Muret de jardin en bord de route, schistes; 648 m. 3/V/2013. n=12.

Note1: Des reines et des mâles se trouvaient dans les échantillons 2, 3, 7, 9, 10, 11, 13, 17, 19, 20, 21, 22, 23.
Note 2: Des exemplaires de Majorque parvenus trop tard sont étudiés à part mais figurent dans le tableau des mesures. Des exemplaires d'Andalousie sont évoqués également à part.

Les fourmis sont mesurées au stéréomicroscope Wild M 10 (grossissement 20x50) selon le protocole proposé par Seifert (2006:2 et 3), mais nous utilisons nos abréviations habituelles: Lte: Longueur de la tête; lat: largeur de la tête (au niveau des yeux); Lsc: Longueur du scape; doe: grand diamètre de l'œil; Lth: longueur du tronc; lte: largeur du thorax; épi: longueur de l'épine (indépi: indice des épines); Lpe: Longueur du pétiole; lpe: largeur du pétiole; hpe: hauteur du pétiole; Lpp: Longueur du postpétiole; lpp: largeur du postpétiole; hpp: hauteur du postpétiole.
Les données sont traitées avec le logiciel XLSTAT. Les individus tests L,S sont introduits dans l'ACP comme "individus supplémentaires" (ils ne participent pas à l'établissement de l'espace factoriel).

Remarques:
Vu le petit nombre d'individus dans les prélèvements disponibles, il n'a pas été possible de constituer des échantillons normalisés (1/3 de petits individus, 1/3 de moyens et 1/3 de grands).
Les plus petits individus (Lte+lat/2 < 0,580 mm) sont pris en compte dans les mesures du tableau mais pas dans les analyses multivariées; outre qu'ils manquent dans certains prélèvements, l'expérience montre qu'ils transportent mal l'information taxonomique (autrement dit, ils se ressemblent tous). Des individus aberrants (suite à des perturbations dans les processus de nymphose, L. Plateaux, com. perso.) sont aussi à écarter.
Lors de la réalisation des mesures, on constate que les proportions des différentes parties du corps ne sont pas strictement proportionnelles (bien qu'elles le soient "en gros"). Un bon exemple est fourni par la covariation irrégulière de lat et Lsc (r = 0,878 malgré tout): ainsi (pour les 2'échantillons du T. melas) nous observons (mesures en mm) un distribution "discrète" de Lsc en fonction de lat:
lat: 0,473 - 0,496 - 0,515 - 0,524 - 0,533 - 0,542 - 0,551 - 0,561 - 0,570 - 0, 579 - 0, 588 - 0,607
Lsc: 0,404 - 0,441 - 0,441 - 0,460 - 0,460 - 0,460 - 0,460 - 0,478 - 0,460 - 0,505 - 0,478 - 0,487
Pour une même valeur de lat, on peut aussi trouver des valeurs différentes de Lsc dans un même prélèvement: 3 individus ayant lat = 0,570 mm ont Lsc valant respectivement 0,478; 0,487, 0,505 mm.


2-Mise en évidence du Complexe T. exilis
ACP exilis.jpg
-Analyse en composantes principales (ACP): Plan des facteurs 2 et 3 et figuration du facteur 4; Les chiffres et les lettres indiquent la position des barycentres des échantillons (voir liste ci-dessus). La position des barycentres sur l'axe 4 est indiqué par une flèche proportionnée (orientée vers le haut: +, vers le bas: -). Le petit schéma en bas à gauche rappelle la disposition des axes. Echelle: 1 unité CP. Contribution des variables dans le plan 2-3 sur le cercle de rayon unité (à une échelle plus grande).
Les 4 premiers facteurs transportent 94,2% de la variance totale. Le premier avec 62,1% traduit un facteur "taille" et n'apporte guère d'enseignements taxonomiques; les 3 suivants avec respectivement 14,2%, 9,9% et 7,8% sont des facteurs forme plus instructifs; les suivants, qui n'apportent plus qu'une information fragmentaire ne sont pas considérés. Contribution en % des variables sur les axes 1, 2, 3 4 : Lte: 12,58; 1,03; 0,79; 0.78. lat: 10,41; 6,10; 0,36; 3,80. Lsc: 6,32; 9,33; 21,29; 1,26. Lth: 12,66; 0,07; 1,36; 1,08. lth: 11,59; 3,42; 0,17; 0,14; épi: 4,72; 2,17; 0,34; 53,79. Lpe: 3,90; 23,62; 1,98; 7,83. lpe: 5,58; 11,09; 1,27; 27,74. hpe: 6,16; 22,53; 0,92; 0,02. Lpp: 6,80; 2,43; 1,01; 0,84. lpp: 8,75; 9,86; 3,46; 1,99. hpp: 10,38; 1,41; 0,07; 0,84. doe: 0,166; 3,00; 55,99; 0,09. En d'autres termes, hpe est un paramètre hautement informatif dans notre analyse (il fournit une contribution élevée à un axe fort (le 2); la longueur des épines est aussi une variable à considérer (mais plus subalterne, elle ne contribue fortement qu'à l'axe 4). Lth, Lpp et hpp ne contribue qu'à moins de 3% de varance cumulée sur les axes 2,3,4; ce sont ici des paramètres peu informatifs.
Les coefficients de corrélation de variable à variables sont divers. Ils 'étagent de 0,944 (Lte/Lth) à -0,11 (doe/Lsc). Lte, lat, Lsc, Lth, lth d'une part (r= 0,944 à 0,667) et les mesures des pétioles d'autre part (r=0,729 à 0,649) sont bien corrélées entre elles. La longueur de l'épine est plus erratique (r avec les autres entre 0,581 et 0,032). Le diamètre de l'œil est toujours mal corrélé avec les autres (r entre 0,252 et -0,211); il peut y avoir de grandes ouvrières aux yeux proportionnellement plus petits que leurs sœurs de taille moindre; il est possible que ce phénomène traduise une spécialisation nocturne ou crépusculaire de certains individus.

-Interprétation:
Les formes rapportées à T. exilis se positionnent au centre de l'espace factoriel; elles constituent ce que nous proposons d'appeler "le complexe exilis"; elles se distinguent nettement des autres espèces européenne, morphologiquement assez voisines et placées là à titre comparatif; celles-ci sont rejetées en périphérie. En réifiant les facteurs (se reporter au cercle des contributions), on retrouve les caractéristiques de ces dernières: T. melas et T. gredosi se distinguent par leur pétiole haut, à l'inverse des deux populations de T. tyndalei d'Espagne. La proximité du type L de l'échantillon "17 chromosomes" de Sambiase semble confirmer que le prélèvement 21 appartient à T. laestrygon (décrit de Sicile) qui se reconnait à son scape long et son pétiole bas. Au sein du complexe, on distingue déjà les populations corses, celles de Catalogne et du SW, de Calabre, du N de l'Italie et du Var. On ne peut encore rien dire de celle de Sardaigne représentée par 1 seule ouvrière. Les variétés "exotiques" creticus et darii soufrent du même handicap.

- Caractères généraux du complexe exilis
Ouvrières: Longueur du corps= 2,0 - 3,4 mm. Coloration généralement foncée allant du brun jaunâtre au brun noirâtre, le gastre pouvant être entièrement sombre ou présenter une macule jaune à la base. Massue et fémur généralement rembrunis. Sculpture faible, tête en grande partie lisse; tronc plus ou moins fortement réticulé, la réticulation pouvant être superficielle ou s'effaçant sur le pro-mesonotum qui ne présent pas de rides sur le dos. Pas de sillon net. Epines petites ou moyennes. Pétiole plus ou moins pédiculé, caractéristique: l'avant descend en courbe régulière vers l'articulation avec le propodeum, le nœud est généralement anguleux en vue de profil. Postpétiole plus large que long.
Reines: Long. corps= 3,2 - 4,8 mm. Coloration sombre. Tête et scutum plus ou moins ridulés en long. Nœud pétiolaire pédiculé et triangulaire de profil.
Mâles: 2,2 - 3,3 mm. Bruns à brun-noir. Tête réticulée ou un peu lisse, scutum lisse ou superficiellement ridulé en log. Pétioles bas. Aux genitalia, la plaque sous-génitale est triangulaire, le digitus de la valve moyenne est long, incurvé, souvent grêle. A la valve interne le beccus peut être petit (caractère observé seulement dans l'échantillon 2) ou développé en lame de faux (chez tous les autres); voir les figures de ma précédente communication. On notera que la forme du beccus semble instable ("caractère non fixé") car chez T. melas, nous avons trouvé des mâles avec le beccus petit (ech. 22, conforme à la description des auteurs) et des mâles à beccus grand (ech. 23 et un autre échantillon de Haute Corse, Casevitz-Weulersse leg.).
Remarque: Ne pas confondre ce "Complexe exilis" avec le "Groupe exilis" (Cagniant & Espadaler, 1997) lequel est une entité plus vaste, regroupant outre les populations d'exilis, des espèces du Maghreb (7 espèces; apparait comme le lieu d'origine) et d'Espagne. Le "Groupe sordidulus" tel qu'il est défini par Seifert (2006) peut être considéré comme son "groupe frère". La répartition du "Groupe exilis" (comme sans doute d'autres) été influencée par les multiples avatars géologiques survenu en Méditerranée occidentale où des ponts ont relié jusqu'au Pliocène supérieur futures Italie, Sicile, Afrique du nord et Espagne (Rosenbaum et al. 2002). le "Complexe exilis" quant à lui, s'est diversifié probablement à une époque récente sur le pourtour européen de la Méditerranée occidentale (avec les exeptions de creticus et darii).

3- Mise en évidence des populations constituant le complexe exilis
AFD exilis.jpg
-Analyses discriminantes (AFD). Ellipses de confiance à 95% des échantillons. C: Population de Corse; A: Calabre; S: Populations occidentales. 1: Radda; 2: Sirolo; 5: Ile d'Elbe. I: Italie du nord (1+2). 6: Hyères. Les identifiants sont placés au niveau des barycentres. Echelle: 1 unité AD. L'analyse a porté sur les variables Lte, lat, Lsc, doe, lth, épi, Lpe, lpe, hpe, lpp.Dans les 3 cas représentés, les matrices de covariance de chacun des échantillons confrontés ne sont pas identiques (khi2 et F observés > que leur valeur critique au seuil de 0,05). La matrice de confusion montre que le nombre de "mal classés" reste faible et même parfois nul. 79 à 81% de la variance sont représentés par l'axe 1 et 21 à 19% par l'axe 2 (avec k=3 groupes).

-Interprétation:
. Elbe, Italie du nord, Calabre: La population de l'île d'Elbe s'individualise à 100%. Le petit échantillon de Sirolo ne se différencie guère de celui de Radda. Ces deux derniers s'individualisent à 85% de celui de Calabre lequel a 95% de bien classés; en définitive, il y a 20% de chevauchement entre Calabre et l'Italie du Nord.
- Hyères, Corse, Population occidentale (=SW de la France et Catalogne): Le petit échantillon du littoral varois s'individualise à peu près de celui du SW+Catalogne (1 individu mal classé) et totalement de la population corse. Celle-ci s'individualise à 100%. La population occidentale s'individualise à 89% (3 individus mal classés par rapport à la Corse). En Corse, les nids sont plutôt dans des endroits secs et ensoleillés, jusqu'à 800 m d'altitude; en Languedoc ils sont dans les zones humides du littoral (bords d'étangs, roselières, anciens salins) (Blatrix, com. perso); à Hyères je les ai trouvés sur les tamaris de la plage, donc lieu très chaud mais bénéficiant de la brise marine.
. Corse, Italie du N, Calabre: La population corse reste bien particularisée (1 individus mal classé). Calabre et Italie du nord se chevauchent on l'a vu à 20%; 4 individus de Calabre et 8 d'Italie du N sont mal classés par rapport à la Corse.

Voir le tableau pour les indices morphométriques pour concrétiser les échantillons.
Grand tableau exilis.xlsx
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Tableau des mesures. Plus petite valeur observée - moyenne (avec son intervalle de confiance à 95% lorsque le nombre est suffisant) - plus grande valeur observée.
p: Nombre de prélèvements; N: Nombre total d'individus.


-Conclusion:
Restriction faite de la faiblesse de beaucoup d'échantillons, il apparaitrait que le "Complexe exilis" tel que nous l'avons défini soit composé de plusieurs populations géographiquement distinctes. Dans l'immédiat je reprends, quand ils existent, les termes des auteurs pour les nommer. Le statut taxonomique de ces populations reste à définir avec des échantillons plus conséquents et beaucoup de problèmes demeurent; l'idéal serait de croiser les données biométriques avec des données génétiques à l'instar du splendide travail réalisé par Csösz et al, 2013 sur le "Complexe lichtensteini". Au terme de cette étude préliminaire, je ne peux avancer de décision formelle. Une étude plus poussée conduira peut être à proposer des espèces ou des sous-espèces (au sens de Mayr, 1974).

. T. exilis forme nominale (Emery, 1869): Italie du nord et Italie centrale; type examiné, conforme. La coloration générale est brunâtre (souvent tête et gastre plus foncés que le tronc); le pétiole reste assez bas.
. La question de T. exilis var. leviceps (Emery, 1898) reste ouverte; le type est de Bologne (examiné); probable synonymie avec la forme nominale selon F. Rigato (com. person.); sa validité au rang spécifique pour l'Espagne est vraisemblablement à réfuter.
. Calabre. Correspond à T. exilis var. specularis (Emery, 1916). Le type d'Emery et le paratype (étiquette bleue marquée "Cotypus") de la collection Forel (examinés) portent l'étiquette "Calabre" de la main des auteurs. Coloration sombre en entier; le pétiole est en moyenne plus haut.
. Ile d'Elbe: Couleur assez claire, une large macule jaune à la base du gastre; pétiole élevé. Correspondrait à -T. exilis var. dichroa (Emery, 1916), décrite de l'île de Giglio (types non retrouvés) et de l'île d'Elbe (examiné); cité de Monte Cristo (Baroni, 1971b:108). Mise en synonymie avec T. exilis var. leviceps par Emery (1916:174) lui-même. La question du statut reste en suspens tant que l'on ne disposera pas d'échantillons plus importants.
. population de Corse (=T. exilis v. specularis sensu Santschi, 1923). Noires. Scape assez court, épines plus développées, pétiole large et haut. Apparaît dans l'état actuel des recherches comme une entité taxonomique particulière.
. population de Sardaigne (= T. exilis v. specularis sensu Santschi, 1923). Le pronotum est rougeâtre. Pétiole assez élevé. A étudier.
. Littoral varois. Correspondrait à T. exilis var. ruficornis (Emery, 1914). Type: "Sudfrankreich" (examiné). Mis en synonymie avec T. exilis exilis par Emery lui-même (1916:174). A considérer avec un échantillon conséquent car pourrait constituer une entité particulière, désignée comme T. exilis ssp. ruficornis, vu que les exemplaires mesurés semblent s'individualiser dans l'AFD. Coloration claire, antennes jaunes, la massue n'est pas assombrie, pétiole aussi bas qu'en Italie du Nord. Ile de Pantelleria selon Emery (1898:135).
. populations de Catalogne et du SW de la France (=T. specularis sensu Collingwood, 1978). Rappelons que la var. specularis a été initialement nommée pour des formes du Sud de l'Italie (Baroni, 1971a:108). Les formes de Catalogne et du SW de la France s'en différencient nettement sur le graphique d'ACP. Le nom "specularis" ne peut donc s'appliquer à cette population et n'y a plus de raisons de maintenir la proposition de Collinwood (op. cit.); parait constituer une entité mais se différencie t-elle de celle du sud de l'Espagne ? Coloration variables mais en général sombres. Pétiole moyen.
. T. exilis ssp. darii (Forel, 1911). Asie mineure, Rhodes selon Menozzi (1936:287-89). Semble peu différent de ceux d'Italie; le pétiole est notablement bas. Résultat d'une introduction? A étudier.
. T. exilis ssp. creticus (Forel, 1910). Crète, île de Karpathos selon Menozzi (1936:289). Assez singulier par sa coloration noirâtre, ses épines plus longues et fines, la sculpture générale plus accusée. Sur le graphique d'ACP, il s'isole un peu du reste du complexe. A étudier.


Je termine en appelant à la collecte les membres d'Antarea; il serait bon de collecter en Sicile (afin de préciser T. laestrygon et le comparer à celui de Calabre), en Sardaigne (1 seule ouvrière étudiée; quelles sont les correspondances avec la population de Corse), sur le littoral varois (l'échantillon est ridiculement petit; A. Buschinger me dit l'avoir vu près de Toulon et dans l'Esterel); un ou deux prélèvements supplémentaires en Languedoc seraient les bienvenus. On lira aussi ce qu'il faut penser des Baléares. Enfin il faudrait collecter dans la région de Bologne (cas le leviceps), en Italie centrale (exilis nominale) et dans les îles de l'archipel Toscan (dichroa) voire même en Croatie, à Zante, à Corfou, Pantelleria... Un échantillonnage plus important permettra de voir si les entités distinguées ci-dessus s'individualisent encore mieux ou au contraire, se chevauchent davantage. Il sera intéressant de regarder si des différences écologiques accompagnent les différences morphologiques.



Remerciements: Au Dr B. Landry qui m'a aimablement communiqué les types et paratypes de la Collection Forel.

Complément bibliographique:
Cagniant H. & X. Espadaler 1997- Les Leptothorax, Epimyrma et Chalepoxenus du Maroc (H.F.). Clé et Catalogue des espèces. Annales de la Société Entomologique de France 33:259-284.
Collingwood C.A. 1978 - A provisional list of Iberian Formicidae with a key to the worker caste. EOS 52: 65-95.
Csösz S., Seifert B., Trindl A., Schulz A. et J. Heinze 2013 -Cryptic diversity in the Mediterranean Temnothorax lichtensteini species complex (H.F.). Organisms, Diversity & Evolution; Published on line, 04 Sept. 2013.
Emery C. 1916- Fauna Entomologica Italiana. 1. Hymenoptera, Formicidae. Bollettino della Società Entomologica Italiana 47 (1915): 79-275.
Mayr E. 1974- Populations, espèces et évolution. Hermann ed. Paris' 496 p.
Menozzi C. 1936- Nuovi contributi alla conoscenza della fauna delle isole italiane dell'Egeo. Bolletino del Laboratorio di Zoologia generale ed agraria del R. Istituto superiore agrario di Portici 29: 262-311.
Rosenbaum G., Lister G.S. et C. Duboz 2002- Reconstruction of the tectonique evolution of the western Mediterranean since Oligocène. Journal of the Virtual Explorer 8: 107-130.
Santschi F. 1923 - Notes sur les fourmis paléarctiques, 4ème note. Boletin de la Real Sociedad Espanola de Historia Natural 23:133-137.
Seifert B. 2006 - Temnothorax saxonicus (SEIFERT, 1995) stat. n., comb.n. - a parapatric, closely-related species of T. sordidulus (MULLER, 1923) comb. and description of two new closely-related species, T. schoeldli sp. n. and T. artvense sp.n. from Turkey (H.F.). Myrmecologische Nachrichten 8: 1-12.
Rumsaïs Blatrix
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Enregistré le : ven. 30 mai 2008 06:53

Mise au point sur le complexe T. exilis

Message par Rumsaïs Blatrix »

Belle analyse!
Ne serait-il pas intéressant de comparer l'écologie de ces différentes formes? De ce que j'ai pu voir, j'ai l'impression que les exilis de Corse et du Languedoc n'ont pas les mêmes préférences: en corse ils seraient plutôt dans les zones xero-thermophiles au moins dans les terres, les nids dans les rochers; en Languedoc on les trouve dans les zones humides du littoral (bords d'étangs, roselières, anciens salins). Qu'en est-il des autres formes? Y a-t-il des différences écologiques qui aillent dans le même sens que la morphologie?
Henri Cagniant
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Enregistré le : mar. 13 mai 2008 10:44

Re: Nouvelle Mise au Point sur le Complexe Temnothorax exili

Message par Henri Cagniant »

Ces précisions sont les bienvenues; je les ajoute au texte!
Henri Cagniant
Messages : 223
Enregistré le : mar. 13 mai 2008 10:44

Mise au Point sur le Complexe T. exilis

Message par Henri Cagniant »

Toujours à propos du complexe T. exilis
Au reçu de nouveaux échantillons de Toscane, de Calabre, de Corse et du littoral languedocien (Galkowski leg., Lebas leg.)

Italie: Les exemplaires communiqués apparaissent comme très voisins de la forme typique décrite des environs de Naples. La coloration est variable dans un même nid; apparemment les individus plus clairs ne sont pas des immatures (ils sont durcis) mais peut être des ouvrières plus jeunes que celles qui sont plus sombres (à préciser par un élevage: y a t-il des individus qui émergent noirs?). Il en résulte que dans un même prélèvement on a des fourmis dont le corps est entièrement noir, avec les mandibules, scapes, premiers articles du funicule, tibias et tarses brun jaunâtre mais fémurs et massues antennaires brun foncé. D'autres sont beaucoup plus claires, le jaune-roussâtre domine, la tête et le gastre sont seulement rembrunis, les appendices jaunâtres avec cependant la massue et le milieu des tibias un peu plus foncés. On trouve aussi des "intermédiaires" chez lesquelles tête et gastre sont nettement brun foncé, l'arrière du tronc et les nœuds ainsi que les massues et les tibias brun clair, l'avant du thorax jaune-brunâtre ce qui donne un aspect général bicolore. Au point de vue sculpture la tête est en grande partie lisse, le tronc et les pétioles superficiellement réticulés (souvent une plage lisse au milieu du dos); cette sculpture reste constante quelque soit la couleur. Cette description reste valable pour toutes les formes de Toscane, de Naples (topotypes) et aussi de Calabre (=T. exilis specularis).

Les exemplaires de Corse se caractérisent par une coloration noire ou brun très foncé (individus jeunes?). La tête est en grande partie lisse mais la réticulation du tronc et des pétioles est plus marquée, très généralement sans plage lisse sur le dos. Cette sculpture se retrouve aussi bien à basse qu'à plus haute altitude. On a vu (voir ci-dessus) que le pétiole est ici plus anguleux et caractéristique de cette population.

Les exemplaires du littoral languedocien sont en général noirs comme ceux de Corse mais il existe aussi des individus plus clairs. La tête est presque entièrement lisse et brillante, le tronc présente un mélange de rides fines, de réticulation et d'espaces lisses dont la disposition change d'un individu à l'autre. Le pétiole est plus anguleux qu'en Italie mais moins qu'en Corse.

Je manque toujours d'informations sur la population du littoral provençal (= "forme" ruficornis).

En conclusion on voit qu'il est incorrect d'appeler T. specularis les exemplaires de Corse ou du Languedoc; le trinomen T. exilis specularis doit être réservé à la population du Sud de l'Italie si on veut la caractériser comme telle mais cela ne semble pas très nécessaire. La population de Corse est bien individualisée par sa biométrie et sa sculpture (je serais tenté d'en faire une bonne sous-espèce, voire une prospecies vu son isolement géographique). Pour statuer sur la population du Languedoc il faudrait mieux connaître ce qui se passe en Provence mais aussi en Espagne, sans parler des Baléares!
Claude Lebas
Messages : 374
Enregistré le : jeu. 29 mai 2008 22:06

Re: Mise au Point sur le Complexe T. exilis

Message par Claude Lebas »

Comment se place la forme du Roussillon ( Argelès sur mer) ?
Henri Cagniant
Messages : 223
Enregistré le : mar. 13 mai 2008 10:44

Re: Nouvelle Mise au Point sur le Complexe Temnothorax exili

Message par Henri Cagniant »

Collingwood appelle T. specularis les exilis de Catalogne mais on vient de voir que cette appellation est abusive. Comme dit aussi ci-dessus, on manque de données sur les populations du sud est de la France et sur leurs relations avec celles du nord de l'Italie. De l'autre côté, mes collègues espagnols Tinaut et Reyes n'ont pas réussit cette année, malgré toutes leurs recherches, à trouver des exilis ibériques; quant aux gens des Baléares, ils n'ont pas répondu à ma demande.
Il reste donc du travail pour nos globe trotters!
Si l'on veut citer les fourmis d'Argelès pour lesquelles on a des données suffisantes (grâce à vous mon cher Claude), je propose pour l'instant de les nommer "T. exilis, population du Languedoc-Roussillon" ce que personne ne pourra contredire!
Assalam alaïkum
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